Souvent, oui bien souvent, j’ai entendu au gré de mes consultations, les regrets ou les remords de mes patients, cristallisés dans un deuil trop encombrant.
Je me souviens m’être dite d’y prendre garde, leur chagrin venait réveiller chez moi, des promesses endormies.
Et puis la Vie s’écoule avec ses vicissitudes, et on oublie à nouveau tout ce qui fait la présence à l’instant, cet instant précieux, celui dont on devrait prendre soin, celui dont on ne sait jamais s’il sera le dernier.
Avec légèreté, parfois même une forme d’indifférence à ce qui semble normal, on se hâte comme si le temps n’existait pas, ou comme si de toujours, il devait exister.
Et puis, on est tellement préoccupé par d’autres choses, les choses de la Vie….
Vois-tu Papa, je repense souvent à ce dernier moment où tu étais encore chez toi, dans cette maison familiale où nous avons tant partagé.
Je repense à ce moment où tu m’as demandé de m’assoir cinq minutes, ce moment dont tu avais besoin avec les circonstances, ce moment que je n’ai su prendre, je t’ai serré dans mes bras en te disant “une autre fois, je suis fatiguée, il est tard et j’ai de la route”, j’étais pressée, moi aussi compte tenu des circonstances.
Je ne savais pas que je ne te reverrai pas chez toi, chez nous, mais sur un lit, dans ce lieu abject où tu n’avais rien à faire, dans cet immonde service, perdu dans un monde hospitalier que je ne comprends plus, où l’on ne se préoccupe guère de nos aînés.
Assise en face en toi, les mots s’étranglaient dans ma gorge, j’aurais voulu te dire que j’allais te sortir de là, fidèle à ma promesse faite au cœur de notre royaume. Je te répétais que je t’aimais… je ne savais quoi dire d’autre, impuissante et dévastée par un père qui ne te ressemblait déjà plus.
Je sais que peu de solutions s’offraient à nous, je sais que nous avons fait ce que nous avons cru bon, compte tenu encore des circonstances, toujours ces dangereuses circonstances.
Cela va faire deux ans Papa que tu es parti, et il n’est pas un jour où tu n’es pas là, où ton absence devient parfois une présence douloureuse et où je dois lutter pour ne pas me laisser entraîner par la culpabilité infernale qui se meut derrière chaque remord, chaque regret.
Si je dépose aujourd’hui l’intime, ce n’est certes pas, bien qu’il puisse en paraître, pour générer chez mes lecteurs une quelconque culpabilité tapie dans les souvenirs, mais plutôt pour partager ce que j’ai pu apprendre dans la douleur. Ce sont bien souvent les expériences difficiles qui nous amènent à de plus amples réflexions…
…où il est justement, précisément, question de cette attention dont je parlais plus tôt, cette attention que nous pouvons encore porter à l’instant du partage, cette précieuse et ineffable présence à l’instant qui se vit là dans chacun de nos jours, celle que nous chérissons lorsque la distance nous éloigne de ceux que nous aimons, irremplaçable lorsque la Vie nous en prive à jamais.
J’ai, in fine, tant de gratitude Papa, pour ce que tu m’as transmis à ton insu, dans la douleur et la colère parfois des derniers mois, des derniers jours, tant de reconnaissance d’avoir rendu plus que jamais tellement précieuse, cette présence à l’instant. De m’autoriser à dire ” je t’aime “, désormais sans aucune pudeur et avec toujours autant de facilité, ces mots que je t’ai si souvent écrits et dits. Ces “je t’aime” et les tiens en écho, sont autant de souvenirs qui mettent de la lumière sur l’ombre de ton absence.
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